Pour l'ancienne Égypte, tout concourrait à l'élévation de l'esprit. Les anciens Égyptiens n'ont jamais érigé ni palais royaux, ni places militaires, mais des temples, des bâtiments religieux, dont la beauté et la dignité forcent encore le respect, 4.000 ans plus tard encore. Toutes les pratiques et religions de l'ancienne Égypte étaient dominées par le mystère de l'autre vie, par l'unité du cosmos et par la transformation de la conscience vers son perfectionnement. La mort au lieu d'être vécue comme une fatalité, était maîtrisée pour donner place à une nouvelle naissance. La religion Égyptienne ne revêtait pas un caractère dogmatique mais convergeait avant tout vers l'aspiration à un renouvellement de l'être orienté vers le divin.
MAAT est un concept difficile à cerner car il convient d’en distinguer deux aspects :
- le concept de maât, la maât terrestre (avec un petit m)
- et la déesse Maât (avec un grand M)
L'origine du mot reste floue ; elle renverrait au verbe "maâ", "diriger", qui appartient au vocabulaire nautique et qui est mis en rapport dans les textes avec le souffle ou le vent du nord, avec une connotation vitale (souffle vital) et de cap maintenu (droiture). Le concept de maât, "l'ordre juste du monde", l'équilibre, est au cœur de la compréhension de la civilisation égyptienne tout entière, et elle est le fondement de sa longévité. Elle est liée et confondue avec l'éthique (incluant la justice, la vérité), avec l'ordre universel (l'ordre cosmique, l'ordre social, l'ordre politique) et avec l'intégration sociale basée sur la communication et la confiance.
Les égyptiens savaient tout naturellement ce qu'était Maât. Ils avaient la ferme conviction que l'on peut enseigner Maât non pas par la transmission de définitions mais par l'exemple instructif de la bonne conduite.
C'est le conte de l'Oasien qui résume le mieux le concept de maât à cette époque.
Dans les neuf suppliques qu'adresse à son juge un paysan qui a été volé, ressortent les trois attitudes fondamentales d'un comportement conforme à la maât : il n'y a pas d'hier pour le paresseux, pas d'ami pour celui qui est sourd à la maât, pas de jour de fête pour l'avide.
(1) La paresse - Faire la maât.
La paresse, c'est l'absence d'action, l'inertie. Pour l'Égyptien, toute action doit entraîner une réaction dans un engrenage reliant les actions passées (l'hier) aux actions présentes. Il faut agir pour celui qui agit afin de l'engager à rester actif. Ne pas oublier le bien qui a été fait, c'est la base de la confiance. C'est une solidarité de survie, basée sur l'interdépendance, incarnée par la maât.
(2) La surdité à la maât - Dire la maât.
La plus grande sagesse selon l'Égypte ancienne, c'est de savoir écouter dans le silence, de méditer la parole reçue et d'agir en conséquence. La vie sociale n'est possible que par l'échange d'une parole harmonieuse, qui seule permet l'intégration de l'un et de l'autre dans une dynamique basée sur la confiance dans les actions futures. Le sourd qui n'écoute pas l'autre, c'est l'insensible, l'indifférent. De ce fait, il n'a pas d'ami et n'est pas intégré dans la société. Quand on ne communique plus, à l'échelon de l'individu ou de la société, c'est la violence et la loi du plus fort qui s'installent.
(3) L'avidité.
C'est une propriété du cœur pour l'Égyptien. Il n'y a rien qu'on puisse faire dans un cas pareil : c'est, disent les sages, une maladie incurable.
Elle est doublement négative pour l'individu : en effet, durant sa vie, l'homme accumule - notamment lors des fêtes - une énergie "subtile" qui semble en relation avec la joie de vivre. Cette énergie vitale constitue son Ka. Celui qui ne sait pas être heureux porte donc tort à son propre Ka pour la société : l'égoïsme, le désir de possession, la jalousie, entraînent la destruction des relations sociales. Celui qui spolie quelqu'un qui a travaillé pour lui, lui enlève son moyen de subsistance, le met en péril, et est de ce fait un inducteur de violence. Au contraire, Maât c'est l'honnêteté, la charité, l'absence de jalousie, le travail justement rétribué, la vie intégrée dans le groupe
Le pharaon était l'arbitre de cette justice : il devait rechercher à chaque instant l'harmonie universelle, cette MAAT qui les guidait vers la bienveillance envers autrui, l'accomplissement de la justice dans chaque fonction, la protection du faible, la prescription de toutes mauvaises paroles, le rejet de toute forme de colère, même quand cela était lié à une injustice. Pharaon constituait l'exemple face à ses sujets et son peuple, parce qu'il incarnait Maât, car il accomplissait son œuvre en harmonie avec le cosmos pour assurer la stabilité de l'état.
"Maât, incarnation de la justice et de la vérité, elle est aussi l'ordre universel, la loi par laquelle le monde subsiste dans l'harmonie, la force par laquelle la création de Rê son père, ne retombe pas dans le chaos primordial. Les Égyptiens pensaient que l’au-delà ne peut plus être une simple continuation de la vie terrestre. Le défunt ne peut plus se contenter de survivre. Il doit passer dans un autre état, celui de Dieu vivant immortel dans le royaume d'Osiris, et pour cela, il devra justifier ses actions sur terre pour accéder à l'Au-delà. Et c’est la qu’apparaît MAAT… la Déesse .
Tout Egyptien qui mourrait passait devant un tribunal présidé par Osiris pour se confesser. Cette confession est dite avant la pesée du cœur. Sur un plateau d'une balance était posé le cœur du défunt, siège de la mémoire de tous ses actes durant sa vie terrestre, et sur l'autre une plume symbolisant Maât. Si les deux plateaux s'équilibraient, le défunt était appelé "juste de voix" et son AKH (l'être de lumière) accédait à la vie éternelle où il était accueilli par les autres "justes" qui l'avaient précédé sur terre. Si le cœur était trop lourd, le défunt était voué à l'errance éternelle.
Pendant ce jugement le défunt prononçait 42 confessions négatives systématiquement codifiées, dans le fameux Chapitre 125 du Livre des morts. Celui qui contient la célèbre "déclaration d'innocence". Elle résume sous forme négative, toutes les 42 actions considérées comme non conformes à la maât, relevant de l'Isfet (le "mal", le désordre, l'injustice…), le contraire de la maât. Il s'agissait de ne pas avoir tué, volé, maltraité, blasphémé, transgressé les tabous, etc.
Ainsi le défunt pouvait "se séparer de ses fautes", se purifier. À aucun moment il n'était question d'avoir fait quelque chose de positif. On plaçait donc le cœur du défunt sur un plateau de la balance et une image de la déesse Maât ou une plume d'autruche sur l'autre. S'il y a équilibre (et bien sûr, il y a toujours équilibre) le défunt devient apte à être introduit dans le monde des dieux; il devient un Juste de Voix. Notons que le cœur ne devait pas non plus être plus léger que la plume, sinon cela signifiait qu'il y avait eu une absence d'action pendant la vie terrestre, faute aussi grave que l'accumulation de mauvaises actions.
Pourquoi avoir choisi la plume d'autruche comme emblème de la déesse Maât ? Parce que c'est la seule plume d'oiseau qui soit de largeur égale de part et d'autre de son axe central ce qui suggère l'équité ; ajoutons que le moindre souffle ou mouvement (donc le désordre) l’anime.
Comme la maât intégrait l'homme dans la société humaine, elle l'intégrait dans la société divine : il devenait membre de la communauté des dieux et il avait accès a la table d'Osiris. Maât devient ainsi une condition sine qua non, non seulement pour réussir sa vie terrestre, pour laisser une trace dans la mémoire collective et donc être quelqu'un pour qui on continue à agir sur terre, mais également pour passer l'examen de la balance du jugement devant Osiris. Cependant, Osiris et le tribunal divin ne faisait que ratifier le jugement que la société avait déjà porté sur le défunt et qui avait implicitement reconnu que son action sur terre avait été conforme à l'éthique égyptienne, dont Maât était le symbole.
Maât, présidait donc le passage du défunt devant le Tribunal d'Osiris ainsi que Geb (symbole de la Terre), Tefnout, maîtresse du ciel primordial et de l'humidité, Isis et Neftys à côté du trône d'Osiris pour insuffler l’énergie qui favorise la renaissance dans l'au-delà, d'Horus le dieu de Lumière.
Celui qui respecte la Maât dans les actes de sa vie terrestre, du scribe au pharaon, débouchera sur "l'homme parfait". Toujours selon le texte des sarcophages, seul un homme intégral qui ne dépend plus des offrandes peut aller et venir dans les deux mondes.
Dans l'ancienne Égypte, chaque dieu représentait un principe, un Neter. MAAT est ainsi la déesse de la vérité, de la justice, de l'équilibre, de la droiture, de l'harmonie, de l'ordre du monde, de loi universelle, etc... Cette notion de NETER faisaient qu’ils ne se battaient pas entre eux et ne se contredisaient. Chaque dieu respecte de manière complémentaire les mêmes principes que les autres, sachant que l'objectif final est le passage devant le tribunal d'Osiris. Ils ouvraient dans la même direction, dans la "voie juste". Chaque dieu est complémentaire aux autres, car à eux tous, ils représentent tous les Néters, tous les principes pour "vivre juste, dans la voie juste".
Ainsi, pour être dans la "voie juste", il faut commencer par être l'exemple, appliquer à soi même les principe de vérité, de justice, de générosité, d'humanisme et de tolérance et non pas demander aux autres de l'être.
On peut conclure que MAAT nous montre sans ambiguïté les deux aspects qui habitent tout individu, à savoir le bon et le mauvais, le bien et le mal. Les différentes épreuves que nous révèle les livres de morts, n'a qu'un seul objectif : nous convaincre de tendre vers le Un, l'être initié, celui qui doit rester sur la "voie juste" empruntant les symboles de tous les Néters susceptibles de l'aider à passer le tribunal d'Osiris pour poursuivre sa route vers la vie éternelle.
Etre dans la voie "juste" consiste à d'abord s’appliquer à soi même, comme le faisaient les dieux et les pharaons, les différents principes ou Néter.
Tout cela doit être une affaire de foi. Quand toutes ces questions nous viennent à l'esprit, alors nous nous rendrons compte que nous sommes sur la "voie juste", que lors de notre confession négative devant Osiris, nous ne serons pas triste et que notre cœur s'émerveillera de toutes nos actions accomplies sur terre et aussi surtout pour aller vers le monde souterrain avec plénitude, espoir, bonheur et enthousiasme.
Extraits d'un discours de Jean-Luc Sonntag