Je fais cet exposé, mon fils, d'abord par amour des hommes et en humble dévouement à Dieu. Car il n'y a pas piété plus vraie que de considérer les choses essentielles et de témoigner sa gratitude à celui qui est l'auteur, ce que je ne cesserai de faire.
Mais si rien n'est réel ni vrai, Père, que faut-il faire alors pour vivre de la juste manière ?
Vis au service de Dieu, mon fils ! Qui est véritablement pieux aimera la sagesse au plus haut degré ; car sans amour de la sagesse il est impossible d'atteindre la piété la plus haute. Celui qui a acquis la vision profonde de l'essence du tout et appris comment, par qui et en faveur de qui l'ensemble est mis en ordre, rend grâce de tout à Dieu, le Maître constructeur du monde, tel un Père infiniment bon, qui comble de bienfaits et protège fidèlement.
Confessant sa gratitude, il sera pieux, et par sa piété il saura où est la vérité et qui elle est ; et grâce à cette vision profonde, sa piété ne cessera de s'affermir.
Jamais, mon fils, l'âme, bien qu'elle soit dans le corps, ne redescend en sens inverse quand elle allège le fardeau de ses dettes pour saisir vraiment le bien et le vrai.
Lorsque l'âme apprend qui l'a appelée à l'existence, elle s'emplit d'un amour immense, oublie tout mal et ne peut plus se séparer du bien.
Tel doit être, mon fils, l'unique chemin vers la vérité, que nos ancêtres ont aussi parcouru et dont ils ont reçu le bien.
Sublime et tracé est le chemin mais difficile et ardu pour l'âme tant qu'elle est dans le corps.
L'âme doit d'abord diriger la lutte contre elle-même, provoquer une profonde scission et abandonner à une partie la victoire sur elle-même. Un conflit naît en effet entre une partie et les deux autres : la première tente de s'échapper tandis que d'en bas les deux autres tentent de l'attirer. La conséquence est lutte et grande dépense de force entre la partie qui veut s'échapper et celles qui tentent de la retenir.
Que ce soit l'une qui gagne ou les deux autres, cela ne revint toutefois pas au même.
Car la première partie aspire fortement au bien tandis que les autres habitent les domaines de perdition.
L'une, pleine de tristesse, désire retrouver la liberté ; les autres chérissent l'esclavage.
Quand les deux sont vaincues, elles restent enfermées en elles-mêmes, inactives et isolées, abandonnées par celle qui règne. Mais si c'est la première qui est vaincue, elle est faite prisonnière par les deux autres, dépouillée de tout et punie par la vie qu'elle mène ici-bas.
Vois, mon fils, ce qui te guide sur le chemin de la liberté : tu dois d'abord, avant de mourir, renoncer à ton corps et vaincre la vie engagée dans la lutte ; puis ayant remporté cette victoire, retourner vers l'en haut.
Et maintenant, mon fils, je vais résumer les choses essentielles par de brèves sentences : tu comprendras ce que je dis si tu te souviens de ce que tu as déjà entendu.
- Tout ce qui existe est en mouvement ; le non-être seul est immobile.
- Tous les corps sont soumis au changement ; mais tous les corps ne sont pas dissolubles.
- Toutes les créatures ne sont pas mortelles, toutes les créatures ne sont pas immortelles.
- Le dissoluble est périssable, l'immuable est éternel.
- Ce qui renaît toujours, toujours périt ; mais ce qui s'est formé une fois pour toutes n'est jamais anéanti et ne devient pas autre chose.
- En premier est Dieu ; en second, le Cosmos ; et enfin, l'Homme.
- Le Cosmos est pour l'Homme, L'Homme pour Dieu.
- La partie sensitive de l'âme est mortelle, la partie raisonnable, immortelle.
- Toute réalité manifestée est immortelle mais cependant transformable.
- Tout être est double, rien de ce qui est n'est en repos.
- Toutes choses ne sont pas mues par une âme ; mais il y a une âme qui meut l'être entier.
- Tout ce qui est sensible expérimente par la souffrance ; tout ce qui expérimente souffre.
- Tout être sujet à la douleur est aussi à la joie ; à savoir, la créature mortelle ; qui connaît la joie ne connaît pas nécessairement la douleur, à savoir la créature immortelle.
- Tout corps n'est pas sujet à la maladie ; tout corps soumis à la maladie est soumis à la dissolution.
- Le Noùs est en Dieu ; la raison est en l'homme ; la raison est dans le Noùs, le Noùs est insensible à la souffrance.
- Rien de vrai dans le corps mortel ; rien de faux dans le corps immortel.
- Tout ce qui vient à l'existence est soumis au changement, mais tout ce qui vient à l'existence n'est pas périssable.
- Rien de bon sur terre ; rien de mal dans le ciel.
- Dieu est bon ; l'homme méchant.
- Le bien opère volontairement ; le mal involontairement.
- Les dieux destinent les oeuvres bonnes aux bonnes fins.
- Le bon ordre est justice sublime ; le bon ordre est loi.
- La loi divine est le temps ; la loi humaine est le mal.
- Le temps est la rotation du monde ; le temps est le destructeur de l'homme.
- Dans le ciel tout est immuable ; sur terre tout est changeant.
- Rien n'est soumis ni subordonné dans le ciel ; rien n'est libre sur terre.
- Point d'ignorance dans le ciel ; point de connaissance sur la terre.
- Le terrestre n'a point part au céleste.
- Tout ce qui est dans le ciel est sans tache et sans souillure ; tout ce qui est sur terre est condamnable.
- Le divin n'est pas mortel ; n'est pas divin qui est mortel.
- Ce qui est semé ne germe pas toujours ; ce qui naît a toujours été semé.
- Pour le corps corruptible il y a deux périodes de temps : de la conception à la naissance et de la naissance à la mort. Pour le corps incorruptible il n'est qu'un temps qui commence à la création.
- Les corps corruptibles croissent et décroissent.
- La matière corruptible oscille entre deux contraires : formation, destruction. La matière incorruptible accomplit le changement en elle-même ou en ce qui lui est semblable.
- Pour l'homme, la naissance est le commencement de la mort ; et la mort le commencement de la naissance.
- Ce qui naît meurt donc aussi ; ce qui meurt est donc aussi né.
- Des choses essentielles, quelques-unes sont dans le corps, quelques-unes dans le monde des idées, quelques-unes dans le monde des forces. Le corps est aussi dans le monde des idées, mais l'idée et la force sont aussi dans le corps.
- Le divin ne participe pas au corruptible et le mortel ne participe pas au divin.
- Le mortel n'entre pas dans le corps immortel ; mais l'immortel peut entrer dans les parties mortelles.
- Les forces divines qui se manifestent ne se dirigent pas vers le haut mais vers le bas.
- Rien de ce qui se passe sur terre n'a d'utilité pour ce qui se passe dans le ciel, mais tout ce qui se passe dans le ciel est de la plus haute importance pour ce qui appartient à la vie terrestre.
- Le ciel est la demeure des corps incorruptibles ; la terre est le séjour des corps corruptibles.
- La terre est dépourvue de raison ; le ciel est conforme à la raison divine.
- Les harmonies célestes sont le fondement du ciel ; les lois terrestres sont imposées à la terre.
- Le ciel est le premier élément, la terre le dernier.
- La Providence est l'ordre divin ; le destin, le serviteur de la Providence.
- Le hasard est mouvement aveugle et désordonné, force illusoire apparence trompeuse.
- Qu'est-ce que Dieu ? Le bien immuable et inflexible. Qu'est-ce que l'homme ? Un mal qui tourne sur soi.
Si tu gardes ces sentences dans ta pensée, tu n'auras pas de difficulté à retrouver intérieurement les explications que je t'ai données en détail ; car ces sentences en sont le résumé.
Évite pourtant d'en parler et d'en discuter avec la foule ; non pas que je veuille lui interdire tes trésors, mais parce qu'elle ne fera que rire de toi. Qui se ressemble s'assemble ; mais qui diffère se hait. Les paroles que je t'ai dites n'attirent qu'un tout petit nombre d'auditeurs, peut-être pas même un seul parmi ce petit nombre. Ces paroles ont en outre cette particularité : elles excitent encore plus les méchants au mal. C'est pourquoi il faut prendre garde à la foule, elle ne comprend ni la force libératrice ni la splendeur de l'enseignement.
Que veux-tu dire Père ?
Ceci mon fils : la vie humaine animale est excessivement portée au mal. En elle le mal est inné dès sa venue au monde et elle en tire satisfaction.
Si cette nature animale apprend que le monde a été créé un jour, et que tout ce passe conformément à la Providence et au Destin, puisqu'en effet c'est la fatalité qui gouverne tout, ne sera-t-elle pas bien pire ? Car si cette nature animale méprise l'univers parce qu'il a été créé un jour et attribue la cause du mal à la fatalité, elle finira par ne plus s'abstenir d'aucune ouvre mauvaise.
C'est pourquoi il faut que tu sois vigilant à son égard afin que, dans son ignorance, elle agisse le moins mal possible par crainte de ce qu'elle ne peut pas comprendre intérieurement.